Pas de quoi en faire tout un fromage ?
La nouvelle n’est déjà plus toute fraîche, mais régulièrement, le sujet refait surface et pour cause : le gouvernement fédéral, afin de pouvoir ratifier un accord de libre-échange avec l’Union européenne, a sacrifié les fromages québécois en permettant une hausse monumentale des importations européennes. 18 000 tonnes supplémentaires, plus du double permis actuellement, pourront traverser l’Atlantique en direction des nos épiceries. L’ensemble du milieu agricole québécois, dans une rare unanimité, s’est empressé de dénoncer la chose, rappelant que ce combat ne se fera pas à armes égales : en effet, les subventions importantes des pays européens aux producteurs fromagers contrastent avec la situation québécoise et permettent d’offrir des produits nettement moins chers (ou nettement plus profitables pour les distributeurs et les détaillants) que nos fromages locaux.
Petit aparté ici : les fromagers fermiers d’ici doivent obligatoirement vendre leur lait à la Fédération des producteurs de lait et lui racheter. Une opération qui leur coûte entre 2000$ et 3000$ par mois alors que le lait se rend directement de l’étable à la fromagerie, le seul intermédiaire physique étant le tuyau qui relie les deux bâtiments… Une manière de rendre les fromages artisanaux québécois plus compétitifs serait peut-être de commencer par éliminer cette aberration!
Revenons-en à nos moutons (et à nos vaches). Les consommateurs qui achètent du Valbert, du Gré des Champs ou du Louis d’Or, ont déjà fait l’effort d’aller dans une boutique spécialisée au lieu d’acheter en grande surface un produit industriel sans caractère. On pourrait donc présumer que ces consommateurs vont continuer leurs bonnes habitudes, car ils recherchent un produit de qualité. Mais vont-ils encore vraiment se déplacer chez un spécialiste la journée où ils trouveront du Comté Fort des Rousses au IGA, aux deux tiers du prix d’un Valbert ? Pour une majorité de consommateurs, le prix reste un facteur déterminant dans l’achat, bien malheureusement. Et les boutiques spécialisées devront pour rester compétitives, faire une place à ces fromages européens.
Une chose est sûre, la multitude de « faux » fromages artisanaux produits par Saputo et Agropur va en prendre pour leur rhume. Je pense par exemple au Saint-Médard, une tentative honteuse de tromper le consommateur à la recherche du 14 arpents de la Fromagerie Médard, mais produit par Saputo. Ces produits ne tiendront pas la route face aux industriels français. Pour Saputo et Agropur, je ne me ferais pas trop de soucis à ce sujet puisqu’ils sont également les principaux importateurs de fromages européens. Mais pour les producteurs de lait québécois, ça risque de faire très mal.
Bien des questions et des suppositions donc, mais peu de réponses encourageantes. Une chose est sûre, advenant la ratification de ce traité, le visage de la production fromagère au Québec va beaucoup changer. Espérons que ce ne sera pas le coup de grâce pour nos producteurs artisans, déjà durement éprouvés par la crise de la listériose et par les règles du MAPAQ, qui, rappelons-le, sont nettement plus strictes que les règles européennes, notamment en ce qui concerne les fromages au lait cru…